CHAPITRE I
Petite histoire de l'eau à Ajaccio avant le canal.
Considérant d’abord les atouts défensifs de la Punta della Leccia, la République de Gênes fonde Ajaccio sur cette presqu’île en 1492, sans se soucier du fait que ce lieu manque cruellement d’eau.
Peu encline à réaliser de grands travaux d’aménagement des cités, Gênes va laisser cette situation perdurer trois siècles.
La population est alors contrainte d’utiliser des puisards souvent insalubres ainsi que les rares sources au faible débit, se trouvant en ville. Certaines se situent sur des propriétés privées et peuvent donc être soumises au paiement d’un droit d’utilisation. En été ces sources sont sèches et il faut alors chercher l’eau loin de la ville, parfois à l’autre extrémité du golfe (embouchure du Prunelli) en utilisant des barques.
II ) Ajaccio sous l’Ancien Régime
Après le rattachement de la Corse au Royaume de France, Claude Thion de la Chaume, médecin chef de l’hôpital militaire, décrit la situation qu’il trouve en arrivant à Ajaccio en 1778 [1] :
« L’eau
des fontaines n’est pas commune à Ajaccio, ceux qui veulent en
faire usage durant l’été sont obligés de la faire
chercher à deux ou trois milles. Communément on ne se sert que
de l’eau de citerne. […] (Les eaux de citernes) Elles
sont fades, pèsent sur l’estomac et dissolvent imparfaitement.
[…] (Concernant l’extension de la citerne Saint-Sébastien
qui recueille les eaux de pluie) Au lieu de s’occuper de ce travail
très dispendieux à tous égards on aurait pu rassembler
plusieurs ruisseaux venant des montagnes voisines et les conduire
dans la ville. »
Sur un mamelon
nommé Saint Sébastien, à l’angle des actuels Cours
Napoléon et Avenue de Paris, est bâtie de 1782 à 1789,
la caserne de Vaux. Derrière celle-ci se trouve le réservoir
recueillant les eaux de pluie.
Image 1 : la caserne Abbatucci1 en 1930.
Grâce à ce réservoir situé à quelques pas du centre-ville qui se trouve alors rue Droite (Actuelle rue Bonaparte), le bien-être de la population se voit grandement amélioré.
Les rares fontaines distribuant des eaux de source sont rénovées, mais le problème de pénurie et de salubrité de l’eau en été demeure toujours.
Thion de la Chaume avait raison, il est urgent de relier le réservoir à des sources captées dans les collines entourant la ville.
Le Premier Consul y pourvoira.
III ) Le Consulat et l’Empire.
Napoléon, enfant d’Ajaccio, élabore un plan ambitieux de développement et d’embellissement de la ville.
Se souvenant des problèmes d’approvisionnement en eau, il accorde une attention particulière à l’adduction de plusieurs sources, afin d’en conduire les eaux jusqu’en ville.
Le plan du Premier
Consul prévoit un développement de la ville suivant deux axes
qui deviendront le Cours Napoléon et le Cours Grandval, avec pour point
de jonction, la très élaborée place du marché
en forme de basilique (place Foch). Sur cette place, au centre de la jonction,
le point d’orgue du projet prévoit la construction d’une
fontaine publique alimentée par l’adduction des eaux de sources
captées dans la montagne, après que celles-ci auraient été
décantées dans un réservoir situé à l’aplomb
de l’actuelle église Saint Roch.
Image 2 : plan de développement du Premier Consul.
En vert, la conduite qui apporte les eaux depuis
le réservoir de Canneto
jusqu’aux fontaines de la caserne de Vaux et de la Place du marché.
En jaune le projet de lotissement le long des nouveaux axes.
En 1801 Napoléon nomme André-François Miot administrateur général de la Corse et lui donne les pleins pouvoirs pour réaliser ses projets : il doit faire réaliser les études préalables à l’adduction des eaux de Lisa et de Canneto2 et organiser la vente des biens communaux pour en financer les travaux.
En 1802, Le Premier Consul ordonne l’envoi de 6000 toises3 de conduites en fonte avec les écrous et « Propres à transporter la bonne eau au milieu de la place publique. » Le ministère de la guerre dont dépend la fourniture des conduites estime les frais trop importants. Napoléon propose alors l’envoi de 6000 toises en terre [2].
En 1805 seulement
700 mètres de tuyaux sont arrivés. « Il en faudrait
8 à 10 000, écrit l’Empereur, […] Profitez
du premier bâtiment de guerre qui va partir pour les faire passer en
toute sûreté.»
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En 1807 l’eau provenant du captage de cinq sources par l’ingénieur Robiquet sur la Punta alimente sept fontaines. Mais l’adduction de la Lisa et du Canneto n’est toujours pas réalisée. A cette même époque, Napoléon ordonne l’étude de dérivation des eaux de la Gravona. En 1810
Napoléon demande au Ministre de l’Intérieur : «
Que sont devenus les 100 000 Francs de fond pour conduire les eaux
de Canetto (SIC) dans la ville et la citadelle d’Ajaccio
? » Et de poursuivre en 1811 : « Faites-moi la
demande de fonds nécessaires pour l’arrivée des
eaux à la fontaine d’Ajaccio ; il paraît qu’il
ne faut que 30 L’eau du Canneto n’arrive enfin à la fontaine Sainte Lucie qu’en 1812. Les lenteurs administratives des bureaux de Paris et de Corse retarderont le projet d’urbanisation qui ne sera complètement réalisé qu’en 1875. A la chute de l’Empire en 1815, les projets de dérivation de la Gravona ainsi que le captage des eaux de Lisa sont ajournés. Seul l’adduction dite de Canneto est en passe d’être achevé par le captage des sources de Canneto et de l’Annonciade. Image 4 : (ci-contre) plan de l’adduction des eaux de sources vers le réservoir de la caserne de Vaux en 1852. |
Image 5 (ci-dessus) :
la première fontaine de la place du marché, en marbre
blanc, abreuvoirs sur les côtés. |
Malheureusement, l’Empereur ne connaîtra jamais l’aboutissement de ce projet : la fontaine de la place du marché n’est inaugurée qu’en 1823 [3], au nom du Roi et de sa « sollicitude paternelle, daignant accorder ce bienfait aux Ajacciens. » (Discours du Vicomte de Suleau, Préfet de la Corse le 25 août 1823). En 1835, les fontaines publiques ne sont en mesure de distribuer que 4 litres d’eau par jour et par habitant en été. Il faudra attendre la fin du Second Empire, en 1867, pour que d’autres captages importants soient greffés sur l’adduction de Canneto, comme celui de la source de Lisa qui donnera désormais son nom à l’adduction4 . Ces travaux auront coûté 410 000 Francs, ce qui représenterait aujourd’hui 3 100 000 Euro, et permettent d’augmenter le débit aux fontaines publiques (28 litres par jour et par habitant en 1859) mais toujours pas de façon satisfaisante. La relance du projet de canal de dérivation des eaux de la Gravona, toujours sous le Second Empire, est donc tout appropriée. |
Image 6 : la fontaine réaménagée en 1850
On voit sur cette gravure que cette réalisation n’avait pas seulement un rôle ornemental : c’était bien une fontaine publique ! Surmontée d’une statue du Premier Consul (œuvre de Laboureur) et flanquée de quatre lions (œuvre de Jérôme Maglioli).